Servitude et desobéissance


À l’âge de 18 ans, Étienne de la Boétie écrit son “Discours de la servitude volontaire”, un ouvrage qui prend le contrepied du Prince de Machiavel. De la Boétie remet en cause la légitimité des puissants; le jeune auteur soutient une thèse originale : la puissance du tyran repose exclusivement sur le consentement populaire; une fois que le peuple refuse cette puissance, le pouvoir du tyran s’écroule. De la Boétie pose les questions: Comment se fait-il qu’un seul puisse commander à tous? Qu’est-ce qui fait qu’un peuple puisse être l’instrument de son propre esclavage? Pour l’auteur, trois raisons peuvent expliquer cette attitude: l’habitude, la manipulation du puissant et l’intérêt ou le profit. Il considère que les êtres humains vivent sur une égalité fraternelle et cherchent à défendre leur liberté; donc, si la force peut contraindre un homme à obéir, c’est surtout l’habitude qui asservit, une habitude qui a fait oublier à l’homme qu’il était libre; aussi seuls l’éducation et le savoir sont capables de maintenir l’homme libre éveillé en l’écartant de l’ignorance qui le maintient dans la servitude. Le tyran cherche à abrutir ses sujets. L’alcool, le sexe, les jeux, deviennent des moyens de contrôler le peuple; la religion et la superstition sont aussie auxiliaires indispensables du pouvoir. Pour se maintenir en place, le tyran a besoin d’un petit nombre d’individus qu’il laisse profiter du système. Il les « tient » par l’appât du gain, des honneurs. Ainsi se maintient la structure pyramidale de la société, que le tyran contrôle du sommet à la base grâce à une chaîne ininterrompue d’hommes à son service profitant de ses bienfaits. A la base de cette pyramide, le peuple ne fait que soutenir la domination d’une « bande organisée » dont le chef est « sacré ». Ce sera au XIXème siècle  que ce texte est reconnu comme une œuvre majeure, une des premières à avoir théorisé ce que l’abolitionniste américain Henry David Thoreau appellera la désobéissance civile.

La désobéissance civile est un concept moderne, malgré le fait de sa déjà longue histoire à travers les siècles depuis Antigone. L’expression désobéissance civile (civil disobedience en anglais) apparaît pour la première fois en 1866 dans un recueil des œuvres complètes de l’écrivain américain Henry David Thoreau, publié quatre ans après sa mort. Thoreau avait passé une nuit en prison en 1846 pour avoir refusé de payer l’impôt afin de ne pas cautionner l’esclavage des Noirs et la guerre contre le Mexique. Il avait expliqué son geste dans une conférence donnée en 1848 au Lyceum de Concord sur Les droits et les devoirs de l’individu face au gouvernement. Thoreau explique qu’il ne suffit pas de condamner par la parole les injustices, de voter une fois par an même dans le sens de la justice ou de vouloir amender la loi injuste pour l’améliorer. Il affirme qu’il ne faut pas être soi-même complice de l’injustice que l’on dénonce. En payant l’impôt qui sert à financer la politique de l’esclavage et la guerre, le citoyen américain participe directement à l’injustice. Thoreau montre que la responsabilité du citoyen est engagée lorsqu’il obéit à la loi injuste. D’où sa célèbre formule : «Si la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne». Par ces mots, Thoreau fonde le devoir de désobéissance de l’individu face à l’Etat lorsque celui-ci institutionnalise l’injustice. Cet acte d’insoumission, selon Thoreau, est d’abord, mais pas exclusivement, une démarche personnelle qui permet de rester en accord avec sa conscience.

L’histoire “moderne” de la désobeissance civile commence en 1906, une fois Mohandas K. Gandhi, jeune avocat indien formé en Angleterre, défend les droits de la minorité indienne en Afrique du Sud. Le gouvernement vient de promulguer un projet d’ordonnance pour lutter contre l’immigration asiatique illégale, obligeant tous les Indiens à se faire inscrire auprès des autorités et à laisser leurs empreintes digitales sous peine d’amende, de prison ou de déportation. Le 11 septembre 1906, Gandhi organise un important meeting au théâtre impérial de Johannesburg au cours duquel il fait prêter serment aux trois mille participants de ne jamais se soumettre à cette « loi noire », qualifiée de « loi scélérate ».

Le débat public sur la notion de « désobéissance civile » a commencé aux États-Unis dans les années soixante avec le combat de Martin Luther King contre la ségrégation raciale. Luther King avait d’ailleurs été profondément influencé par le texte de Thoreau et le combat de Gandhi. Il se considérait lui-même comme l’héritier d’une « tradition de contestation créatrice ». Le leader de la lutte pour les droits civiques montre que la désobéissance civile devient légitime à partir du moment où les citoyens sont confrontés à la loi injuste.

On pourrait énoncer sept principes essentiels pour donner une cohérence éthique et une force politique à la desobéissance civile, nécessaires pour être légitime et efficace dans une société démocratique: une action collective, publique, non-violente, de contrainte, qui s’inscrit dans la durée, constructive et qui assume les risques de la sanction. Elle n’est pas une fin en soi; elle doit rester l’acte ultime, l’arme «lourde» de la stratégie de l’action non-violente, mise en œuvre une fois que tous les moyens légaux ont été tentés. 

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